Comment un policier acharné, têtu – et à la retraite – a accompli le travail alors que les victimes n’avaient nulle part où aller
Par By Claude Aubin
Nous sommes mi juin 2014. Une personne de mon entourage connaissant mon ancien métier, entre en contact avec moi. Quelque peu désemparée, la jeune femme, me raconte avoir été arnaquée par un pédophile. Cette mère inquiète, n’est surtout pas impressionnée par le déroulement de l’enquête. Selon elle, malgré de belles paroles, l’enquêteur au dossier se traine vraisemblablement les pieds. L’homme semble ne prendre au sérieux les allégations de cette victime. Alors, devant un café, le vieil enquêteur que je suis, passera quelques heures à écouter son bouleversant récit.
Quelle était sa façon d’opérer?
Phylip, un jeune homme d’environ 23 ans, ciblait et sillonnait depuis des mois les sites Internet sur l’autisme. Rapidement, notre pédophile devient un pseudo expert en matière d’autisme, asperger, TDAH et autre. Le jeune prédateur cible en priorité des mères monoparentales, ayant des enfants autistes en bas âge. Ces jeunes femmes deviennent alors pour lui, des proies faciles. Comme il semble bien s’y connaitre, il commence par donner des conseils, établit certains diagnostics, dirige certaines mamans vers d’autres sites. Il est brillant ce petit bonhomme, car au fil du temps, il devient indispensable, incontournable et tellement disponible. Il infiltre ainsi les mouvements et groupes sociaux de la communauté autistes du Canada, des U.S.A. et d’Europe. Il assiste même des intervenantes en orthopédagogie, pour des questionnaires auprès de mères d’autistes. Jusque là, pas de problèmes.
Lentement mais surement, le jeune homme gagne la confiance de dizaines de mères, il est si inoffensif, si timide, si enfantin. ”Si maman aime une émission télé, elle devient sa préférée, si une autre maman déteste cette même émission, lui aussi la déteste avec passion”. Tout comme le caméléon, notre pédophile change de couleur selon la branche ou il se perche. Il devient de plus en plus, le confident que les mamans n’ont pas et qu’elles désirent. Un homme qui t’écoute et te comprend, quelle chance!
Phylip s’ouvre différemment aux mères, selon l’occasion qui se présente. ”Sa jeunesse ayant été marquée par des abus sexuels de la part de son père vendeur de drogue, de sa sœur, des amis de sa sœur et finalement par un peu tout le monde.” Bien sur, tout ceci est un tissu de mensonges et un mensonge par mère, car trop c’est trop. Mais qui vérifiera? En plus d’être une oreille attentive, il fait maintenant pitié et ne peut être un danger pour personne.
”Voilà l’arnaque”
Maintenant qu’il possède la confiance et la compassion des mères, étant supposément autiste lui même, il avoue avec peine, ne pas savoir comment bien faire sa toilette, disons sous la ceinture.
‘Les médecins m’ont suggéré de trouver une mère compréhensive, pour m’enseigner comment faire ma toilette. ” Alors, on lui propose des pictogrammes, des photos médicales, ou… là ou il y a des pères, une séance de douche, mais comme suite aux agressions, il a peur des hommes, il refuse net. Alors de fil en aiguille, il en arrive à proposer de voir comment la mère lave son enfant, surtout ceux entre 2 et 6 ans. Puis au bout d’un moment, s’enhardissant il se rapproche du but : peut-il aider au bain? Ceci, il le fera à quelques reprises.
En attendant, notre jeune homme ayant toujours son cellulaire à la main prend des photos à l’insu des parents et se crée une petite réserve en ordinateur. Certaines de ces photos seront échangées plus tard sur le Net. Ce pédophile va jusqu’à demander des photos nues de l’enfant ou mesurer la longueur du sexe, car selon lui, il y avait un lien entre la longueur du pénis et l’autisme. N’oubliez pas, que dans tous les groupes sociaux, il est à l’époque encore reconnu comme connaissant. Il aura même son moment de gloire à la radio de Radio Canada, puis quelques conférences chez les autistes. Alors, qui pourrait douter?
L’insouciance et le mépris
Fin avril 2014, le Service de police de Laval entre au dossier et un enquêteur est sur le cas. Une mère victime et une mère témoin lui ayant prêté un ordinateur. Un jour par hasard, voulant retracer un fichier, elle tombe sur des photos d’enfants nus dans des bains et surprise, un de ces bains est le sien. Donc, profitant de l’absence de celle-ci, le pédophile avait amené une mère et son enfant chez elle.
L’enquêteur possède donc : L’ordinateur prêté au suspect, deux victimes et le nom du suspect. Un mois et demi plus tard, rien ne semble bouger et quelques victimes dont celle qui s’ouvre à moi, se greffent aux deux premières. Pourtant, rien ne filtre de l’enquête, il faut presque harceler le policier, pour soutirer une quelconque information.
Suite à notre discussion, en vieux flic, je ne peux me résoudre à laisser tomber l’affaire. Après quelques vaines tentatives de rencontres téléphoniques avec l’enquêteur, j’apprends par une des mères, que rien ne sera fait dans l’immédiat et que ”Ça se passe entre autistes”. Mieux, l’enquêteur ayant interviewé le suspect, rassure la première victime disant:
” Il m’a dit qu’il ne recommencerait plus.” Pire, la première victime se fait dire : ”Il n’y a que deux victimes et les autres ne sont que des hystériques.”
La traque
Pris d’une sainte colère et comme je n’ai pas de nouvelles de l’enquêteur. Je commence donc ma propre enquête. Il me faut monter une petite équipe. Ayant convaincu mon épouse, ma fille et mon ami Laval Larouche, un autre enquêteur à la retraite, nous formons donc un quatuor du tonnerre.
Alors, patiemment, pendant quatre mois, nous rencontrerons des dizaines de victimes dans le grand Montréal, puis de Gatineau à Sept Iles. Le décompte se terminera avec cent neuf jeunes mères impliquées, dont une au USA, deux en France et une en Suisse.
Au cours de l’enquête, je découvre que ce petit délinquant est sous le coup d’un cc 810* à la cour de St Jérôme, avec des conditions sévères concernant les enfants. Donc, il récidivait en quelque sorte. Nous avions donc affaire à un prédateur.
Je tenterai d’intéresser la police de Montréal, car il y avait tout de même treize victimes sur son territoire. Mais, comme Laval avait toujours officiellement la charge du dossier, on me signifia sans grande politesse, un fin de non recevoir. L’équipe devait donc terminer le travail et au fil des entrevues, j’entendrai des choses incroyables dites par des policiers:
”Ça fait deux mois, c’est trop tard.” ou ” Vous pourriez être accusée de complicité.” ”ou ” Il ne les a pas touché. ” ”Appelez la S.Q.” ” on ne peut l’accuser pour ça.”
Je n’en revenait tout simplement pas. Comment pouvait on manquer d’autant de compassion et d’empathie? Mon équipe et moi, avons du consoler et expliquer à des mères pourquoi certains policiers agissaient ainsi. Nous avons du raisonner certains pères, amis ou frères, pour qu’ils ne se fassent pas justice.
La chance peut aussi nous sourire
Au mois d’août 2014, Une mère m’informe notre jeune pédophile se rendra au parc Lafontaine, pour d’une petite fête d’autistes. Et c’est entouré d’enfants qu’il photographie avec grand plaisir, que je le prends moi même en photo. Notre homme brise ainsi au moins deux des conditions de sa promesse faite à un juge. C’est le moment que j’attendais. Le prédateur en moi frétillant d’impatience depuis des semaines observait sa proie, qui, trop occupée à désirer ses propres victimes, ne remarquait pas le félin qui l’épiait.
Quelques minutes plus tard, muni des conditions de la cour, ma compagne désignera l’homme aux policiers venu l’arrêter. Sa vie venait de basculer. Le pauvre garçon s’était malheureusement fait un nouvel ami… Moi!
Au bout de deux jours de détention, le jeune homme sortira sous de nouvelles conditions. Alors, tout en montant le dossier, pendant quelques semaines, ma compagne et moi feront quelques filatures et observations. Nous irons aussi dans les postes de police du secteur, afin d’y sensibiliser les policiers. Le pédophile ne l’aurait pas facile.
Enfin du progrès
Il faudra encore deux autres mois à la petite équipe pour finaliser l’enquête. Des milliers de pages de conversations Web, des centaines de pages de déclarations, le dossier cour.
Le tout rangé dans deux boites pleines.
Un jour d’octobre nous irons à la Sureté du Québec avec ces caisses de documents, des photos d’enfants nus, toutes les déclarations des victimes et le précis des faits. Les enquêteurs de la S.Q. en seront soufflés. L’enquête n’avait qu’à être validée, l’ordinateur à être analysé et à suivre les pointillés.
Enfin, au mois de décembre 2014, lors de sa comparution pour bris de conditions, Phylip St Jacques, le pédophile se fera arrêter. Il restera détenu en attente de procès pendant plus de treize mois.
Un dénouement mi figue mi raisin
Le 2 mars 2016, ayant plaidé coupable à tous les chefs, notre pédophile aura une sentence de 22 mois de prison et de nouvelles conditions. La procureure de la couronne Me Roxane Laporte, aura fait un travail titanesque dans ce dossier. Le système étant ce qu’il est, Phylip sortira le lendemain. Ce jour là je dirai à Me Laporte qu’on le reverrait dans six mois.
La récidive annoncée
Le 15 juillet 2016, quelques nouvelles mères victimes me
contactaient. Notre jeune homme n’avait pas tenu les six mois.
Le 29 juillet 2016, notre pédophile se retrouvait une nouvelle fois en prison, pour de nouvelles manœuvres. Le jeune homme écumait les sites ”Végétaliens”. Cette fois, il donnait des conseils à de jeunes mères, pour des recettes à servir aux enfants, il ira même encore une fois se présenter chez l’une d’entre elles, qui bien sur est mère d’un bambin. Il aura même eu l’audace de tenter de se faire employer dans une garderie. Cette fois, je dois avouer que la police a rapidement fait ces devoir. Notre homme croupit maintenant en prison encore une fois.
Conclusion
Que serait ‘il arrivé si un vieux flic à la retraite, têtu comme une mule, un chien qui garde son os sans le lâcher une seule seconde, ne s’était pas intéressé à l’affaire? Comment des parents ne connaissant rien aux rouages de ces corps de police, auraient’ ils pu obtenir justice et protection. Quand ceux qui doivent
t’épauler ne font pas le travail, vers qui peux-tu te tourner? Comment des policiers et policières, peuvent’ ils manquer
autant de compassion, d’empathie, de détermination. Avons nous collectivement abandonné nos idéaux quelque part en chemin?
Ayant passé 32 ans à servir avec cœur, vécu des moments difficiles, des causes difficiles. Vécu, plusieurs nuits à ne pas dormir et réfléchir au comment rendre justice, sans être vengeur. Accompagner les victimes et les proches dans ce qui souvent est un cheminement ardu. Je n’ai connu que cette façon de faire, elle est la seule selon les hommes qui m’ont entourés.
Les flics vivent souvent dans la fange, la violence, le mensonge, le sang et en prennent malgré eux l’habitude. Malheureusement, avec le temps, ils développent un certain cynisme, une certaine distance, pour ne pas être engloutis par le côté sombre de la société.
Pourtant, nous devons car c’est notre mission: Protéger les victimes, les accompagner, les renseigner, se débattre souvent dans un système qu’ils ne comprennent pas. Alors, pour eux comme pour nous, demeurons humains malgré tout ce que nous voyons de dégoutant, de sale, de répugnant. Agissons en pensant ”Si notre enfant était une des victimes.”
Nous avons désiré faire ce job que peu de gens ont la capacité de faire, c’est donc à nous de nous acquitter de cette tâche avec fierté.
— Claude Aubin a été policier et enquêteur au SPVM pendant près de 32 ans. Il s’est frotté aux mafias Russe, Irlandaise, Pakistanaise, aux hackers, aux groupes Jamaïcains criminalisés et aux gangs de rues. Claude Aubin est aujourd’hui père et grand père. Il est aussi auteur de trois livres, blogueur au Huffington Post, conseiller spécial chez Urbania Z Télé. Il prend aussi le temps de faire quelques enquêtes qui lui tiennent à cœur.